jeudi 4 mars 2010

Elisabeth Badinter ou le sein graal

J'ai senti mes cheveux se hérisser l'autre jour quand j'ai entendu à la radio une interview d'Elisabeth Badinter, où elle était invitée afin de parler de son dernier livre, "Le conflit, la femme et la mère". Elle est partout dans les médias, ces temps, Mme Badinter.

Elle est une (richissime!) philosophe féministe française qui dénonce sans mâcher ses mots le retour à la nature, le maternage "écologique". Selon elle, cette nouvelle tendance des femmes à vouloir vivre leur maternité au naturel met en grave danger le travail fait par les féministes ces dernières années.

Eh bien selon moi, c'est du féminisme très déplacé et ses propos n'ont aucun sens. Sa première cible, l'allaitement. Elle est scandalisée par la pression sociale qui veut que les femmes allaitent plus de deux jours. Pour elle, le fait que le Programme national nutrition santé vise un taux de 70% d'allaitement à la sortie de la clinique n'est rien moins que dictatorial. C'est que, voyez-vous, nous ne sommes pas des "mammifères babouines", mesdames...

Il y avait l'autre jour dans le magazine Elle un article intitulé "Le sein graal - cessez de nous forcer à allaiter". Une révolte contre cette pression évoquée par Badinter. Mais le problème est beaucoup plus complexe qu'une simple question de choix. A-t-on vraiment le choix quand on est pas informée, et si peu accompagnée? L'allaitement ne va pas de soi et le démarrage peut-être très très difficile. Et nous vivons dans une société individualiste, où la solitude n'est pas rare, et surtout où la transmission de femme à femme dans le domaine de la maternité est devenue quasi inexistante.

Les femmes d'aujourd'hui sont extrêmement infantilisées, et cela dès l'apparition de la petite ligne bleue sur le test de grossesse. Dès ce moment là, on va leur faire bien sentir à quel point elles ne peuvent pas se fier à leur corps et à leur ressenti, peut-être même à quel point elles peuvent être dangereuses pour elles-mêmes ou leur bébé. Dans ces conditions, comment développer et voir grandir cette confiance si nécessaire à leur maternité naissante? Comment pourraient-elles savoir qu'elles ont des compétences très valables? Beaucoup n'ont pas à leur côté une femme "sachante" qui pourrait leur dire "tu as tout en toi pour être une mère formidable, même si tu ne t'en rend pas compte, tu "sais" ". Non, à la place de ça, elles ont des médecins qui, rendez-vous après rendez-vous, leur énumèrent des listes de risques et dangers en tout genre.

Elles arrivent donc à l'accouchement pleines de peurs, acceptent sans broncher les cascades d'actes médicaux et ensuite, on voudrait qu'elles se lancent joyeuses et confiantes dans l'allaitement? Alors que dans bien des maternités encore, on va leur dire des choses du style "vous n'avez pas assez de lait", "votre colostrum n'est pas assez bon", "vous ne savez pas bien positionner votre bébé au sein". Et la mère va voir ses "incompétences" validées quand on donnera au bébé un biberon de lait ou de tisane, moyen très efficace pour faire foirer l'allaitement en quelques jours...

Dans ces conditions, je comprends tout à fait que le taux d'allaitement soit si bas en France. Alors quand Badinter enfonce le clou et dit aux femmes qu'elles doivent refuser cet assujetissement à leur enfant, je me sens bien triste. Un de ses arguments, c'est qu'avec le biberon, le papa peut participer. Quelle vision bornée des choses... En fait, elle ne voit le bébé que comme source d'esclavagisme, et il faut impérativement que l'homme et la femme soient esclaves à part égale. C'est tellement simpliste!

Elle met d'autres choses dans son sac "mouvement naturaliste dangereux": les couches lavables, les biberons sans bisphénols, le co-dodo, l'accouchement à domicile, le portage, la mooncup... Tout ça est anti-féministe selon elle. Et moi je dis le contraire, mais peut-être n'avons nous pas la même définition du féminisme.

Je pense que le féminisme laisse derrière lui pas mal de dégâts. Que la femme doive être libre de disposer de son corps, qu'elle soit respectée en tant qu'individu, qu'à travail égal elle gagne la même chose qu'un homme, ça devrait couler de source. Il s'agit là de non-discrimination, qui concerne non seulement les femmes, mais aussi tous les autres "faibles" ou du moins considérés comme tels...

Mais il y a eu à un moment une confusion. La femme ne peut pas être l'égale de l'homme, puisqu'elle est une femme! C'est bête, mais il faut le dire. Seulement, en ayant voulu l'être, elle a perdu une part de son identité. Du côté des hommes, ce n'est pas facile non plus. On leur demande d'être féminins (pour compenser la masculinité grandissante des femmes?), doux, gentils, et ensuite, particulièrement une fois que les enfants sont arrivés, on leur reproche de ne pas avoir de couilles! (un sujet à développer plus longuement une autre fois).

A mon sens, ces femmes rétrogrades selon Badinter, celles qui s'épanouissent dans le maternage proximal, sont des féministes d'un nouveau genre. Ce sont des femmes qui veulent reconnecter leur force de Femme, ce qu'elles sont fondamentalement, ce dont elles se sont tant éloignées ces dernières dizaines d'années à cause du féminisme primaire. En vivant leur maternité au plus près, elles permettent à leur nature profonde d'émerger. Et ça, ça donne une véritable, solide et inébranlable force. Une force que Badinter et ses adeptes ne pourront jamais imaginer.

Encore une chose: elle dit qu'il est totalement faux d'imaginer que ces mères écolos vont faire une société meilleure. Ah bon? C'est vrai que la société française va bien... Les pires statistiques en morbidité périnatale d'Europe, la violence grandissante (les délinquants sont même pistés dès la maternelle!), le taux incroyablement élevé de consommation de psychotropes... Dans un pays qui se vante d'avoir tout à la fois un indice européen de natalité élevé et de femmes qui travaillent. Mmmm.

Pour ma part, j'ai la faiblesse de croire qu'une femme qui ne s'éloigne pas de son bébé, qui pratique le maternage intense, offre à la société un individu avec beaucoup de sécurité intérieure, et plus il y aura de ces individus, mieux la société se portera!

Mme Badinter, vous êtes complètement à côté de la plaque et vous vous trompez de combat!

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